Etes-vous plutôt de ceux qui courent après le temps ou de ceux qui le regardent passer ? Dans un cas comme dans l'autre, cette récente revue de la littérature scientifique pourrait vous intéresser.
Ô temps suspend ton vol proposait Lamartine dans son célèbre poème (poème paru dans les méditations poétiques !). C’est un souhait que nous avons tous exprimé au moins une fois. Une récente revue de la littérature scientifique suggère que ce souhait pourrait bien être une réalité… dès lors que vous pratiquez la méditation de pleine conscience.
Inutile de vous précipiter sur votre coussin de méditation ou alors hâtez-vous de le faire, mais en prenant tout votre temps car… cette revue récente de 47 études, explorant la relation complexe qui existe entre pleine conscience et perception du temps, nous apprend que ce sentiment, de se (re)trouver hors du temps, n’est finalement ressenti que par les méditants les plus expérimentés (c’est-à-dire avec 6 à 40 ans de pratique ou avec 1290 à 29000 heures et plus de temps passé à méditer !). Ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que les effets de la pratique sur le cerveau changent qualitativement avec le niveau de compétence et que les pratiquants expérimentés sont plus susceptibles de faire l’expérience d’états modifiés de conscience durant leur temps de pratique.
Mais rassurez-vous il n’est pas nécessaire de devenir le nouveau Maverick du coussin de méditation et de cumuler les (s)miles* pour que votre pratique influence votre rapport au temps. En effet, il a pu être montré que la pleine conscience, en induisant un état mental de « vigilance détendue », est susceptible de modifier notre perception du temps notamment en raison de l’importance que joue notre attention à la fois dans l’exercice de la pratique et dans notre façon de percevoir le temps qui passe.
D’une manière générale, et même si les résultats sont parfois contradictoires, les études montrent que la pratique de la pleine conscience est associée à une perception plus lente du temps qui passe. Et ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les effets de la méditation sur la perception du temps, en plus d’être variable en fonction du niveau d’expérience des méditants, diffèrent selon le cadre de référence : c’est-à-dire selon qu’il s’agisse du temps qui passe dans la vie de tous les jours, durant la méditation, ou encore directement après un temps de pratique.
Dans la vie de tous les jours, la capacité à rester focaliser sur le moment présent serait associée à une perception plus lente du temps qui passe (aussi bien chez les méditants expérimentés que chez les novices). Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’un niveau élevé de pleine conscience augmenterait les informations stockées dans la mémoire (grâce au travail de l’attention sur l’instant présent) et qu’un contenu de mémoire plus riche, en terme de contenu contextuel vécu ou rappelé, se traduirait par des durées perçues plus longues et un passage du temps comme paraissant plus lent. De la même manière, il apparait que, les personnes ayant développé un haut niveau de pleine conscience (notamment par la mise en place d’une pratique régulière), rapportent un sentiment d’avoir plus de temps et donc subir moins de pression temporelle ; ce qui serait particulièrement bénéfique pour la gestion du stress lié au temps et représenterait une solution séduisante à la prévention de l'épuisement professionnel (c’est-à-dire simple et peu coûteuse à mettre en place).
Les choses sont un peu plus complexes quand on s’intéresse à la perception du temps durant la pratique. Les méditants « naïfs » ou avec une faible expérience de la pratique rapportent un passage du temps perçu comme rapide ; tandis qu’au contraire, les méditants avec une plus grande expérience, rapportent tous un ralentissement du temps.
Ce résultat est cohérent avec le fait que la perception du temps s’accélère avec la difficulté de la tâche accomplie (mais pas uniquement ! Interviendrait aussi l’état émotionnel par exemple). La méditation, tout particulièrement pour les personnes avec peu d’expérience, est particulièrement exigeante sur le plan cognitif et nécessite un véritable effort : l’accélération du temps ne serait donc ici que le reflet d’un engagement attentionnel important qui parfois entraine fatigue mentale et somnolence chez les pratiquants novices. Avec l’expérience de la pratique, les méditants développent leurs capacités attentionnelles et deviennent plus attentifs à l’expérience du moment présent en mobilisant moins d’effort, ce qui impliquerait un ralentissement de la perception du temps du fait, comme expliqué plus avant, de l’augmentation du contenu de la mémoire qui s’enrichit de l’expérience du moment.
En ce qui concerne les méditant experts, ils partagent, quant à eux, faire souvent l’expérience d’une absence subjective du temps durant leur pratique. Certains auteurs avancent que chez eux, leur haut degré de pratique les rendrait susceptibles de faire plus aisément l’expérience d’une distorsion du temps, comme celle décrite dans l’état de flow (état optimal de concentration) qui peut être vécu notamment par les sportifs de haut niveau. En effet, si on considère que l’expérience du temps n’est rien d’autre que la succession de moments de conscience et que c’est l’intégration de cette succession de moments qui lui confère sa continuité, un travail puissant de l’attention sur le moment présent pourrait venir interférer sur cette intégration temporelle conduisant à ressentir un sentiment d’intemporalité.
Enfin, la revue d’articles s’intéresse à ce moment particulier de la perception du temps, celui qui se situe juste après avoir méditer en pleine conscience. Non seulement les études explorant cette dimension sont rares, mais en plus, ceci expliquant sans doute cela, les résultats sont contradictoires : les méditants ont aussi bien évoqué un ralentissement du temps qu’une accélération de celui-ci. Il a été constaté en effet une grande hétérogénéité des réponses en fonction des personnes interrogées et de la nature de l’activité dans laquelle ils s’étaient engagés directement après le temps de pratique. Comme évoqué plus avant, un passage du temps plus rapide est le plus souvent observé lorsque la tâche à accomplir nécessite un engagement intellectuel important. Par exemple, avoir médité avant de jouer d’un instrument permet d’être plus présent durant cette activité et, de fait, contribue à une perception du temps plus rapide. De la même manière, être plus présent à la tâche accomplie pourrait aider les méditants à « se souvenir » de certains aspects des compétences déjà mises en jeu ultérieurement (durant leur pratique de la musique ou d’une activité sportive par exemple) et, en modifiant le contenu de leur mémoire, contribuer à ce que leur perception du temps soit au contraire ralentie.
Le présent du passé, c’est la mémoire.
Le présent du présent, c’est l’observation.
Le présent du futur, c’est l’attente.
Augustin d’Hippone
L’ensemble des résultats de cette étude suggèrent donc que s’il existe un lien fort entre pleine conscience et perception du temps, il est sans doute encore trop tôt pour affirmer un lien causal solide. Les auteurs soulignent l'importance de poursuivre les recherches, notamment avec des essais contrôlés randomisés et des études sur les effets à long terme.
Quoiqu’il en soit, en ce qui me concerne, je saurai maintenant quoi répondre aux personnes qui, lorsque je leur propose de participer à un programme de méditation (qui généralement s’étale sur 8 semaines), me disent « je n’ai pas le temps pour ça ! ». Je pourrai maintenant gentiment leur répondre que c’est justement en faisant ce type de programme qu’ils (re)trouveront ce temps, mais surtout qu’ils sauront comment le prendre !
Fabrice BLARD
Décembre 2024
D’après Morin & Grondin (2024). “Mindfulness and time perception : a systematic integrative review”
* Thich Nhat Hahn disait : « ne pensez pas que nous devons être solennels pour méditer. En fait, pour bien méditer, nous devons beaucoup sourire. »